Lamarche des éléphants Paroles et musique : Anny et Jean-Marc Versini Ré 1. Cest la marche des é- lé- leu phants 1. Ré Des en-fants La trom- pes, La é- lé- phants é- lé- sol 2. Tiens 2. Mi phants la queue Ré leu La c' est la Ré trom- pe D.C. - MAR 445561 Cest der- riè- re Chanson extraite du CD pour la queue Marcherles éléphants, marcher tous ensemble Marchent les éléphants qui passent et nous ressemblent La marche de la vie, qui navigue et qui rassemble Tous les patriarches qui ont compris avant d’apprendre Puis il est parti d’un côté sans même se retourner Les mains dans les poches, et la démarche chaloupée Lareine des éléphants La Bibliothèque électronique du Québec Collection Classiques du 20e siècle Volume 82 : version 1.0 2 . Du même auteur, à la Bibliothèque : L’esclave amoureuse Nouvelles 3 . La reine des éléphants 4 . Première partie 5 . I Ce soir-là, comme presque tous les soirs, le colonel sir John Printermont, commandant au nom de Sa Majesté britannique les Unéléphant blanc marche devant un éléphant vert marche derrière trois éléphants bleus marchent au milieu enfants d'éléphants marchez bien en rang ran plan plan L'éléphant se douche l'éléphant se douche, douche, douche sa trompe est un arrosoir L'éléphant se mouche mouche mouche Il lui faut un grand mouchoir L'éléphant dans sa bouche bouche bouche A Chansonsenfants gratuites. 39 chansons pour enfants et 50 comptines sont à télécharger gratuitement pour les enseignants et les parents. Les chansons d'enfance traditionnelles et les créations de Stéphy sont en libre téléchargement légal. Des contes, des comptines, des musiques et des chansons gratuites en mp3 pour tous les enfants francophones. PetitToomai accompagnait la chanson d’un joyeux tunk-a-tunk à la fin de chaque couplet, jusqu’au moment où il eut sommeil et s’étendit lui-même sur le fourrage, à côté de Kala Nag. Enfin les éléphants commencèrent à se coucher, l’un après l’autre, selon leur coutume ; et bientôt, Kala Nag, à la droite de la ligne, demeura seul debout : il se balançait lentement, de ci Rencontrehors du temps avec la présence sacrée des éléphants. C’est un voyage initiatique, hors norme et hors du temps, pour une transformation durable et profonde ! Il s’agit de prendre soin de soi (éveil du corps, méditation, cercle de parole, marche en silence, actes symboliques, jeux d’eau et de boue) et de tout le vivant (règnes animal et végétal) dans un contexte Suivonsles ! La marche est une expérience d’exploration. Non seulement d’un paysage, d’un monde qui s’offre au déchiffrement, mais de soi-même. Cela commence par le corps, qui trouve un rythme le conduisant à la sensation première d’éprouver la nature. Marcher dans, marcher sur la nature ; faire l’expérience des sens Avisde Mamans vous invite à tester La parade de l'éléphant, un jouet de construction sur roulettes pour stimuler la motricité fine et globale de l'enfant. Toggle navigation. Actualités; Envie de bébé . Actus envie de bébé . Conception. Infertilité. Fausse couche. PMA. Adoption. Toute la catégorie Envie de bébé; Grossesse . Actus Grossesse. Grossesse Voirvoler un éléphant (When i see an elephant fly en VO) est une chanson du long-métrage Dumbo, sorti en 1941, écrite par Ned Washington et composée par Oliver Wallace. Jim et les corbeaux commence à chanter, suite à la théorie hypothétique de Timothée au sujet des oreilles de 1Ypp6. TOOMAI DES ÉLÉPHANTS Je me souviens de qui je fus. J’ai brisé corde et chaîne. Je me souviens de ma forêt et de ma vigueur ancienne. Je ne veux plus vendre mon dos pour une botte de roseaux, Je veux retourner à mes pairs, aux gîtes verts des taillis clos Je veux m’en aller jusqu’au jour, partir dans le matin nouveau. Parmi le pur baiser des vents, la claire caresse de l’eau J’oublierai l’anneau de mon pied, l’entrave qui veut me soumettre. Je veux revoir mes vieux amours, les jeux de mes frères sans maître. Kala Nag — autrement dit Serpent Noir — avait servi le Gouvernement de l’Inde, de toutes les manières dont un éléphant peut servir, pendant quarante-sept années ; et, comme il avait au moins vingt ans lorsqu’il fut pris, cela lui faisait environ soixante-dix ans à cette heure, l’âge mûr des éléphants. Il se souvenait d’avoir poussé, un gros bourrelet de cuir attaché sur le front, pour dégager un canon enlisé dans la boue profonde ; et c’était avant la guerre afghane de 1842, alors qu’il n’avait pas encore atteint la plénitude de sa force. Sa mère, Radha Pyari — Radha la favorite — prise dans la même chasse que lui, n’avait pas manqué de lui dire, avant que ses petites dents, ses défenses de lait, fussent tombées Les éléphants qui ont peur attrapent toujours du mal » ; et Kala Nag savait que l’avis était sage, car, la première fois qu’il vit un obus éclater, il recula en criant, creva une rangée de faisceaux, et les baïonnettes le piquèrent dans ses parties les plus tendres. Aussi, avant qu’il eût vingt-cinq ans, était-ce fini pour lui d’avoir peur, et devint-il par là même l’éléphant le plus aimé et le mieux soigné dans le service du Gouvernement de l’Inde. Il avait transporté des tentes, douze cents livres de tentes, durant la marche à travers l’Inde Supérieure ; il avait été hissé sur un navire au bout d’une grue à vapeur ; et, après des jours et des jours de traversée, on lui avait fait porter un mortier sur le dos dans un pays étrange et rocailleux, très loin de l’Inde ; il avait contemplé l’empereur Théodore étendu mort dans Magdala ; puis était revenu par le même steamer, avec tous les titres, disaient les soldats, à la médaille d’Abyssinie. Il avait vu ses camarades éléphants mourir de froid, d’épilepsie, de faim et d’insolation dans un endroit appelé Ali Musjid, dix ans plus tard ; ensuite, il avait été envoyé à des milliers de milles dans le sud pour traîner et empiler de grosses poutres en bois de teck, aux chantiers de Moulmein. Là, il avait à moitié tué un jeune éléphant insubordonné qui voulait esquiver sa juste part de travail. Après cela, il avait quitté le transport des bois de charpente, et on l’avait employé, avec quelques vingtaines de compagnons dressés à cette besogne, pour aider à la capture des éléphants sauvages dans les montagnes de Garo. Les éléphants ! le Gouvernement de l’Inde y veille avec un soin jaloux il y a un service tout entier qui ne s’occupe que de les traquer, de les prendre, de les dompter, et de les envoyer à un bout du pays ou à l’autre suivant les besoins de l’ouvrage. Kala Nag, debout, mesurait dix bons pieds aux épaules ; ses défenses avaient été rognées à cinq pieds, et, pour les empêcher de se fendre, on avait garni leurs extrémités avec des bandes de cuivre ; mais il savait se servir de ces tronçons mieux qu’aucun éléphant non dressé de ses vraies défenses aiguës. Quand, après des semaines et des semaines passées à rabattre avec précaution les éléphants épars dans les montagnes, les quarante ou cinquante monstres sauvages étaient poussés dans la dernière enceinte, et que la grosse herse, faite de troncs d’arbres liés, retombait avec fracas derrière eux, Kala Nag, au premier commandement, pénétrait dans ce pandémonium de feux et de barrissements c’était à la nuit close en général, et la lumière vacillante des torches rendait difficile de juger les distances il choisissait dans toute la bande le plus farouche des porte-défenses, et le martelait et le bousculait jusqu’à le réduire au calme, tandis que les hommes, montés sur le dos des autres éléphants, jetaient des nœuds coulants aux plus petits et les attachaient. Il n’y avait rien, dans l’art de combattre, que Kala Nag, le vieux et sage Serpent Noir, ne connût il avait plus d’une fois, dans son temps, soutenu la charge du tigre blessé, et, sa trompe charnue soigneusement roulée pour éviter les accidents, il avait frappé de côté dans l’air, d’un rapide mouvement de tête en coup de faulx, la brute bondissante — un coup de sa propre invention, l’avait terrassée, et, agenouillé sur elle de tout le poids de ses genoux énormes, il en avait exprimé la vie avec un râle et un hurlement ; alors, il ne restait plus sur le sol qu’une loque rayée, ébouriffée, qu’il tirait par la queue. — Oui ! disait Grand Toomai, son cornac, — le fils de Toomai le Noir qui l’avait emmené en Abyssinie, et le petit-fils de Toomai des Éléphants qui l’avait vu prendre, — il n’y a rien au monde que craigne le Serpent Noir, excepté moi. Il a vu trois générations de notre famille le nourrir et le panser, et il vivra pour en voir quatre. — Il a peur de moi aussi ! — disait Petit Toomai, en se dressant de toute sa hauteur, quatre pieds, sans autre vêtement qu’un lambeau d’étoffe. Il avait dix ans ; c’était le fils aîné de Grand Toomai, et, suivant la coutume, il prendrait la place de son père sur le cou de Kala Nag, lorsqu’il serait grand lui-même, et manierait le lourd ankus de fer, l’aiguillon des éléphants, que les mains de son père, de son grand-père et de son arrière-grand-père avaient poli. Il savait ce qu’il disait ; car il était né à l’ombre de Kala Nag, il avait joué avec le bout de sa trompe avant de savoir marcher, il l’avait fait descendre à l’eau dès qu’il avait su marcher, et Kala Nag n’aurait pas eu l’idée de désobéir à la petite voix perçante qui lui criait ses ordres, plus qu’il n’aurait eu l’idée de tuer le petit bébé brun, le jour où Grand Toomai l’apporta sous les défenses de Kala Nag, et lui ordonna de saluer celui qui serait son maître. — Oui, dit Petit Toomai, il a peur de moi. Et il marcha à longues enjambées vers Kala Nag, l’appela vieux pourceau gras », et lui fit lever les pieds l’un après l’autre. — Wah ! dit Petit Toomai, tu es un gros éléphant. Et il secoua sa tête ébouriffée, en répétant ce que disait son père — Le Gouvernement peut bien payer le prix des éléphants, mais c’est à nous, mahouts, qu’ils appartiennent. Quand tu seras vieux, Kala Nag, il viendra quelque riche Rajah qui t’achètera au Gouvernement, à cause de ta taille et de tes bonnes manières, et tu n’auras plus rien à faire qu’à porter des boucles d’or à tes oreilles, un dais d’or sur ton dos, des draperies rouges couvertes d’or sur tes flancs et à marcher en tête du cortège royal. Alors, je serai assis sur ton cou, ô Kala Nag, un ankus d’argent à la main, et des hommes courront devant nous, avec des bâtons dorés, en criant Place à l’éléphant du Roi ! » Ce sera beau, Kala Nag, mais pas aussi beau que de chasser dans les jungles. — Peuh ! dit Grand Toomai, tu n’es qu’un petit garçon et aussi sauvage qu’un veau de buffle. Cette façon de passer sa vie à courir du haut en bas des montagnes n’est pas ce qu’il y a de mieux dans le service du Gouvernement. Je me fais vieux, et je n’aime pas les éléphants sauvages. Qu’on me donne des lignes à éléphants, en briques, une stalle par bête, des pieux solides pour les amarrer en sûreté, et de larges routes unies pour les exercer au lieu de ce va-et-vient toujours en camp volant… Ah ! les casernes de Cawnpore avaient du bon. Il y avait tout près un bazar, et seulement trois heures de travail par jour. Petit Toomai se rappela les lignes à éléphants de Cawnpore et ne dit rien. Il préférait de beaucoup la vie de camp, et détestait ces larges routes unies, les distributions quotidiennes de foin au magasin à fourrage, et les longues heures où il n’y avait rien à faire qu’à surveiller Kala Nag s’agitant sur place dans ses piquets. Ce qu’aimait Petit Toomai, c’était l’escalade par les chemins enchevêtrés que seul un éléphant peut prendre, et puis le plongeon dans la vallée, la brève apparition des éléphants sauvages pâturant à des milles au loin, la fuite du sanglier et du paon effrayés sous les pieds de Kala Nag, les chaudes pluies aveuglantes, quand toutes les collines et les vallées fumaient, les beaux matins pleins de brouillard, quand personne ne savait où l’on camperait le soir, la poursuite patiente et minutieuse des éléphants sauvages, et la course folle, les flammes et le tohu-bohu de la dernière nuit, quand ils venaient se précipiter en torrent à l’intérieur des palissades comme des rochers dans un éboulement, découvraient l’impossibilité d’en sortir, et se lançaient contre les poteaux massifs, pour être enfin repoussés par des cris, des torches flamboyantes et des salves de cartouches à blanc. Là, même un petit garçon pouvait se rendre utile, et Toomai se rendait aussi utile que trois petits garçons. Il tenait sa torche et l’agitait, et criait de son mieux. Mais le vrai bon temps, c’était quand on commençait à faire sortir les éléphants, quand le keddah, c’est-à-dire la palissade, ressemblait à un tableau de la fin du monde, et que, ne pouvant plus s’entendre, les hommes étaient obligés de se faire des signes. Alors Petit Toomai grimpait sur un des poteaux ébranlés, et il avait l’air d’un lutin dans la lumière des torches ; puis, ses cheveux noirs, blanchis par le soleil, flottant sur ses épaules, on entendait, à la première accalmie, les cris aigus d’encouragement qu’il jetait à Kala Nag, parmi les barrissements et les craquements, le claquement des cordes, et les grondements des éléphants entravés. — Maîl, maîl, Kala Nag ! Allons, allons, Serpent Noir ! Dant do ! Un bon coup de défense ! Somalo ! Somalo ! Attention ! Attention ! Maro ! Mar ! Frappe, frappe ! Prends garde au poteau ! Arre ! Arre ! Hai ! Hai ! Kya-a-ah ! Et le grand combat entre Kala Nag et l’éléphant sauvage roulait çà et là à travers le keddah, et les vieux preneurs d’éléphants essuyaient la sueur qui leur inondait les yeux, et trouvaient le temps d’adresser un signe de tête à Petit Toomai, tout frétillant de joie au sommet du poteau. Il fit plus que de frétiller ! Une nuit, il se laissa glisser du haut de son poteau, se faufila parmi les éléphants, ramassa le bout libre d’une corde tombée à terre, et la jeta vivement à l’homme qui essayait d’attraper un petit récalcitrant les jeunes donnent toujours plus de mal que les adultes. Kala Nag le vit, le saisit dans sa trompe, le tendit à Grand Toomai qui le gifla dare-dare et le remit sur le poteau. Le lendemain matin il le gronda et lui dit — De bonnes lignes à éléphants, en briques, et quelques tentes à porter, n’est-ce pas suffisant, que tu aies besoin d’aller attraper les éléphants pour ton compte, petit propre à rien ? Voilà, maintenant que ces malheureux chasseurs, dont la paye n’approche pas de la mienne, ont parlé de l’affaire à Petersen Sahib. Petit Toomai eut peur, Il ne savait pas grand’chose des hommes blancs, mais Petersen Sahib était pour lui le plus grand homme blanc du monde il était le chef de toutes les opérations dans le Keddah, — celui qui prenait tous les éléphants pour le Gouvernement de l’Inde, et qui en savait plus sur les us et coutumes des éléphants qu’aucun homme du monde. — Quoi ! qu’est-ce qui peut arriver ? dit Petit Toomai. — Ce qui peut arriver, le pis tout simplement, Petersen Sahib est un fou autrement, pourquoi irait-il chasser ces démons sauvages ?… Il peut même exiger de toi de devenir chasseur d’éléphants pour aller dormir n’importe où, dans ces jungles fiévreuses, pour être un jour, en fin de compte, foulé à mort dans le keddah. Il est heureux que cette sottise se termine sans accident. La semaine prochaine, la chasse sera finie, et nous autres, de la plaine, nous regagnerons nos postes. Alors, nous marcherons sur de bonnes routes et nous ne penserons plus à tout cela. Mais, fils, je suis fâché que tu te sois mêlé de cette besogne c’est l’affaire de ces gens d’Assam, ces immondes rôdeurs de jungle. Kala Nag ne veut obéir à personne qu’à moi, aussi me faut-il aller avec lui dans le keddah. Mais il n’est qu’un éléphant de combat, et il n’aide pas à lier les autres ; c’est pourquoi je demeure assis à mon aise, comme il convient à un mahout — non pas un simple chasseur ! — un mahout, dis-je, un homme qui obtient une pension à la fin de son service. Est-ce que la famille de Toomai des Éléphants est faite pour se voir foulée aux pieds dans l’ordure d’un keddah ? Méchant ! Vilain ! Fils indigne ! Va-t’en laver Kala Nag, fais attention à ses oreilles, et vois s’il n’a pas d’épines dans les pieds ; autrement, Petersen Sahib t’attrapera, bien sûr, et fera de toi un chasseur sauvage,… un de ces êtres qui suivent les pistes d’éléphants, un ours de jungle. Pouah ! Fi donc ! va ! Petit Toomai s’en alla sans mot dire, mais il raconta tous ses griefs à Kala Nag, pendant qu’il examinait ses pieds. — Cela ne fait rien, — dit Petit Toomai, en retournant le bord de son énorme oreille droite — Ils ont dit mon nom à Petersen Sahib, et peut-être… peut-être… qui sait ?… Aïe ! voici une grosse épine que je t’ai enlevée ! Les quelques jours suivants furent employés à rassembler les éléphants, à promener entre deux éléphants apprivoisés les animaux nouvellement pris, pour n’avoir pas trop d’ennuis avec eux en descendant au Sud, vers les plaines, puis à réunir les couvertures, les cordes et tout ce qui avait pu être abîmé ou perdu dans la forêt. Petersen Sahib vint sur le dos de son intelligente Pudmini il était allé compter leur paye à d’autres camps dans les montagnes, car la saison tirait à sa fin ; et, maintenant assis à une table sous un arbre, un commis indigène réglait leurs gages aux cornacs. Une fois payé, chaque homme retournait à son éléphant et rejoignait la ligne qui se tenait prête à partir. Les traqueurs, les chasseurs, les meneurs, tous les hommes du keddah régulier, qui passent dans les jungles une année sur deux, étaient montés sur le dos des éléphants appartenant aux forces permanentes de Petersen Sahib, ou bien, adossés au tronc des arbres, leur fusil en travers des bras ; ils plaisantaient les cornacs qui s’en allaient, et riaient quand les éléphants nouvellement pris rompaient l’alignement pour courir de tous les côtés. Grand Toomai se dirigea vers le commis avec Petit Toomai derrière lui, et Machua Appa, le chef des traqueurs, dit à demi voix à un de ses amis — Voilà de la bonne graine de chasseur qui s’envole ! C’est une pitié d’envoyer ce jeune coq de jungle muer dans les plaines. Or, Petersen Sahib avait des oreilles tout autour de la tête, comme doit en avoir un homme qui passe sa vie à écouter le plus silencieux des êtres vivants, — l’éléphant sauvage. Il se retourna sur le dos de Pudmini, où il était étendu de tout son long, et dit — Qu’est-ce donc ? Je ne savais pas qu’il y eût un homme parmi les chasseurs de la plaine, qui eût assez d’esprit pour lier même un éléphant mort. — Ce n’est pas un homme, mais un enfant. Il est entré dans le keddah, à la dernière prise, et a jeté la corde à Barmao que voilà, quand nous tâchions d’éloigner de sa mère ce jeune éléphant qui a une verrue sur l’épaule. Machua Appa désigna du doigt Petit Toomai, Petersen Sahib le regarda, et Petit Toomai salua jusqu’à terre. — Lui, jeter une corde ? Il n’est pas plus haut qu’une cheville à piquet… Petit, comment t’appelles-tu ? dit Petersen Sahib. Petit Toomai avait trop peur pour desserrer les dents, mais Kala Nag était derrière lui ; l’enfant fit un signe de la main, et l’éléphant l’enleva dans sa trompe et le tint au niveau du front de Pudmini, en face du grand Petersen Sahib. Alors, Petit Toomai se couvrit le visage de ses mains, car il n’était qu’un enfant, et, sauf en ce qui touchait les éléphants, il était aussi timide qu’un enfant peut l’être. — Oh ! oh ! — dit Petersen Sahib en souriant sous sa moustache — et pourquoi as-tu appris à ton éléphant ce tour-là ? Est-ce pour t’aider à voler le blé vert sur les toits des maisons, quand on met les épis à sécher ? — Pas le blé vert, Protecteur du Pauvre… les melons, dit Petit-Toomai. Et tous les hommes assis à l’entour remplirent l’air d’une explosion de rires. La plupart d’entre eux avaient appris ce tour à leurs éléphants, lorsqu’ils étaient gamins. Petit Toomai était suspendu à huit pieds en l’air, et il aurait désiré très fort être à huit pieds sous terre. — C’est Toomai, mon fils, Sahib ! — dit Grand Toomai, en fronçant les sourcils. — C’est un méchant enfant, et il finira en prison, Sahib. — Pour ça, tu me permettras d’en douter ! dit Petersen Sahib. Un garçon qui, à son âge, peut affronter un plein keddah ne finit pas en prison… Tiens, petit, voici quatre annas pour acheter des bonbons, parce que tu as une vraie petite tête sous ce grand chaume de cheveux. Le moment venu, tu peux devenir un chasseur aussi. Grand Toomai fronça les sourcils plus fort que jamais. — Rappelle-toi, cependant, que les keddahs ne sont pas des endroits où doivent jouer les enfants ! ajouta Petersen Sahib. — Est-ce qu’il faudra n’y jamais aller, Sahib ? demanda Petit Toomai avec un gros soupir. — Si ! — répondit en souriant de nouveau Petersen Sahib. — Quand tu auras vu les éléphants danser !… Ce sera le moment… Viens me trouver quand tu auras vu danser les éléphants, et alors je te laisserai entrer dans tous les keddahs. Il y eut une autre explosion de rires, car la plaisanterie est vieille parmi les chasseurs d’éléphants c’est une façon de dire jamais. Il y a, cachées au loin dans les forêts, de grandes clairières unies que l’on appelle les salles de bal des éléphants », mais on ne les découvre que par hasard, et nul homme n’a jamais vu les éléphants danser. Lorsqu’un chasseur se vante de son adresse et de sa bravoure, les autres lui disent — Et quand est-ce que tu as vu les éléphants danser ? Kala Nag reposa Petit Toomai sur le sol, et l’enfant salua de nouveau très bas, s’en alla avec son père, et donna la pièce d’argent de quatre annas à sa mère qui nourrissait un dernier né. Puis toute la famille prit place sur le dos de Kala Nag, et la file d’éléphants, grognant, criant, se déroula le long du chemin de la montagne, vers la plaine. C’était une marche très animée, à cause des nouveaux éléphants, qui causaient de l’embarras à chaque gué, et qu’il fallait flatter ou battre toutes les deux minutes. Grand Toomai menait Kala Nag avec dépit, car il était fort mécontent. Quant à Petit Toomai, il était trop heureux pour parler Petersen Sahib l’avait remarqué et lui avait donné de l’argent ; aussi éprouvait-il ce qu’éprouverait un simple soldat appelé hors des rangs pour recevoir des éloges de son commandant en chef. — Qu’est-ce que veut dire Petersen Sahib avec la danse des éléphants ? demanda-il enfin doucement à sa mère. Grand Toomai l’entendit et grommela — Que tu ne seras jamais un de ces buffles-de-montagne de traqueurs. Voilà ce qu’il voulait dire… Hé ! là-bas, vous, en tête, qu’est-ce qui barre la route ? Un cornac, à deux ou trois éléphants en avant, un homme de l’Assam, se retourna en criant avec colère — Amène Kala Nag, et cogne-moi sur ce jouvenceau que j’ai là, pour lui apprendre à se tenir. Pourquoi Petersen Sahib m’a-t-il choisi pour descendre avec vous autres, ânes de rizières !… Conduis ta bête sur le côté, Toomai, et laisse-la travailler des défenses… Par tous les Dieux des montagnes, ces nouveaux éléphants sont possédés… ou bien ils sentent leurs camarades dans la jungle ! Kala Nag frappa le nouveau dans les côtes, à lui en faire perdre le souffle, tandis que Toomai disait — Nous avons nettoyé les montagnes d’éléphants sauvages, à la dernière chasse. C’est seulement la négligence avec laquelle vous les conduisez. Est-ce que je suis chargé de l’ordre tout le long de la file ? — Écoutez-le ! cria l’autre cornac Nous avons nettoyé les montagnes !… » Oh ! oh ! Vous êtes malins, vous autres, gens de la plaine. Tout le monde, sauf un cul-terreux qui n’a jamais vu la jungle, saurait ce qu’ils savent bien, eux, que la chasse est finie pour cette saison alors, ce soir, tous les éléphants sauvages feront… — Mais pourquoi gaspiller ce qu’on sait devant une tortue de rivière ? — Qu’est-ce qu’ils feront ? cria petit Toomai. — Ohé ! petit. Tu es donc là ? Eh bien, je vais te le dire car toi, tu as du bon sens. Ils danseront, voilà ! Et ton père, qui a nettoyé toutes les montagnes de tous les éléphants, fera bien de mettre double chaîne à ses piquets, ce soir. — Qu’est-ce qu’il raconte ? fit Grand Toomai. Pendant quarante années, de père en fils, nous avons gardé les éléphants, et nous n’avons jamais entendu parler de ces danses-là. — Oui, mais un homme des plaines, qui vit dans une hutte, ne connaît que les quatre murs de sa hutte… Eh bien, laisse tes éléphants sans entraves, ce soir, tu verras ce qui arrivera. Quant à leur danse, j’ai vu la place où… Bapree bap ! combien de tournants a cette rivière Dihang ? Voici encore un gué, et il nous faut mettre les petits à la nage. Tenez-vous tranquilles, vous autres, là-bas derrière !… Ainsi causant, se querellant, et pataugeant à travers les rivières, ils firent leur première étape, jusqu’à une sorte de camp destiné à recevoir les nouveaux éléphants. Mais ils avaient perdu patience, longtemps avant d’y arriver. Là, les animaux furent enchaînés par les jambes de derrière aux lourdes masses des piquets ; on mit des cordes supplémentaires aux nouveaux ; on entassa devant eux le fourrage. Puis, les cornacs de la montagne retournèrent vers Petersen Sahib, sous le soleil de l’après-midi, en recommandant aux hommes de la plaine d’être exceptionnellement soigneux ce soir-là ; et ils riaient lorsque ceux-ci leur en demandaient la raison. Petit Toomai surveilla le souper de Kala Nag ; et, comme le soir tombait, il erra à travers le camp, heureux au delà de toute expression, en quête d’un tam-tam. Lorsqu’un enfant hindou se sent le cœur en liesse, il ne court pas de tous les côtés et ne fait pas un vacarme désordonné. Il s’assoit par terre, et se donne une petite fête à lui tout seul. Et Petit Toomai s’était vu adresser la parole par Petersen Sahib ! S’il n’avait pas trouvé ce qu’il cherchait, il en aurait fait une maladie. Mais le marchand de bonbons du camp lui prêta un petit tam-tam — un tambour que l’on frappe du plat de la main, — et il s’assit par terre, les jambes croisées, devant Kala-Nag, au moment où les étoiles commençaient à paraître, le tam-tam sur ses genoux ; et il tambourina, tambourina, tambourina, et, plus il pensait au grand honneur qui lui avait été fait, plus il tambourinait, tout seul parmi le fourrage des éléphants. Il n’y avait ni air ni paroles, mais tambouriner le rendait heureux. Les nouveaux éléphants tiraient sur les cordes, piaulaient de temps en temps et trompettaient, et il pouvait entendre sa mère, dans la hutte du camp, qui endormait son petit frère avec une vieille, vieille chanson sur le grand dieu Siva, lequel a dit jadis à tous les animaux ce qu’ils devaient manger… C’est une berceuse très douce et dont voici le premier couplet Shiv qui versa les moissons et qui fit souffler les vents, Assis aux portes en fleur d’un jour des anciens temps, Donnait à chacun sa part vivre, labeur, destinée, Du mendiant sur le seuil à la tête couronnée. Toutes choses a-t-il faites, Shiva le Préservateur, Mahadeo ! Mahadeo ! toutes choses L’épine pour le chameau roux, le foin pour les bœufs du labour. Et le sein des mères pour la tête endormie, ô petit fils de mon amour ! Petit Toomai accompagnait la chanson d’un joyeux tunk-a-tunk à la fin de chaque couplet, jusqu’au moment où il eut sommeil et s’étendit lui-même sur le fourrage, à côté de Kala Nag. Enfin les éléphants commencèrent à se coucher, l’un après l’autre, selon leur coutume ; et bientôt, Kala Nag, à la droite de la ligne, demeura seul debout il se balançait lentement, de ci de là, les oreilles tendues en avant pour écouter le vent du soir qui soufflait tout doucement à travers les montagnes. L’air était rempli de tous les bruits de la nuit, qui, rassemblés, font un seul grand silence le clic-clac d’une tige de bambou contre l’autre, le froufrou d’une chose vivante dans l’épaisseur de la brousse, le grattement et le cri étouffé d’un oiseau à demi réveillé les oiseaux sont éveillés dans la nuit beaucoup plus souvent qu’on ne pense, une chute d’eau ; très loin… Petit Toomai dormit quelque temps… Quand il s’éveilla, il faisait un éclatant clair de lune, et Kala Nag veillait toujours, debout, les oreilles dressées. Petit Toomai se retourna dans le fourrage bruissant, et considéra la courbe de l’énorme dos sur le ciel dont il cachait la moitié des étoiles ; et, pendant qu’il regardait, il entendit, si loin que ce bruit faisait à peine comme une piqûre d’épingle dans le silence, l’appel de cor d’un éléphant sauvage. Tous les éléphants, dans les lignes, sautèrent sur leurs pieds, comme frappés d’une balle, et leurs grognements finirent par réveiller les mahouts endormis ; ceux-ci sortirent et frappèrent sur les chevilles des piquets avec de gros maillets, puis serrèrent telle corde et nouèrent telle autre, et tout redevint tranquille. Un des nouveaux éléphants avait presque déchaussé son piquet Grand Toomai enleva la chaîne de Kala Nag, la mit à l’autre comme entrave, le pied de devant relié au pied de derrière, puis il enroula une tresse d’herbe à la jambe de Kala Nag, et lui dit de ne pas oublier qu’il était attaché solidement. Il savait que lui-même, son père et son grand-père, avaient fait la même chose bien des centaines de fois. Kala Nag ne répondit pas à cet ordre par son glouglou habituel. Il resta immobile, regardant au loin à travers le clair de lune, la tête un peu relevée, les oreilles déployées comme des éventails, vers les grandes ondulations que faisaient les montagnes de Garo. — Fais-y attention, s’il est agité cette nuit ! dit Grand Toomai à Petit Toomai. Et il rentra dans la hutte et se rendormit. Petit Toomai était juste sur le point de se rendormir aussi, quand il entendit la corde de caire fibre de cocotier se rompre avec un petit tintement. Et Kala Nag roula hors de ses piquets, aussi lentement et silencieusement que roule un nuage hors d’une vallée. Petit Toomai trottina derrière lui, nu-pieds sur la route, dans le clair de lune, appelant à voix basse — Kala Nag ! Kala Nag ! Prends-moi avec toi, ô Kala Nag ! L’éléphant se retourna, sans bruit, revint de trois pas en arrière, abaissa sa trompe, enleva l’enfant sur son cou, et, avant que Petit Toomai eût seulement fixé ses genoux, il se glissait dans la forêt. Il vint des lignes une fanfare de furieux barrissements ; puis, le silence se referma sur toutes choses, et Kala Nag se mit en marche. Quelquefois une touffe de hautes herbes balayait ses flancs tout du long comme une vague balaye les flancs d’un navire, et quelquefois un bouquet pendant de poivriers sauvages grattait son dos d’un bout à l’autre, ou bien un bambou craquait au frôlement de son épaule ; mais, entre temps, il se mouvait sans aucun bruit, dérivant à travers l’épaisse forêt de Garo comme à travers une fumée. Il suivait une route montante, mais, bien que Petit Toomai guettât les étoiles par les éclaircies des arbres, il n’eût pu dire dans quelle direction. Enfin Kala Nag atteignit la crête et s’arrêta une minute, et Petit Toomai put voir les cimes des arbres, comme une fourrure tachetée qui s’étendait sous le clair de lune à des milles et des milles, et le brouillard d’un blanc bleuâtre, sur la rivière, dans le fond. Toomai se pencha en avant, regarda, et il sentit que la forêt était éveillée au-dessous de lui, éveillée, vivante et pleine d’êtres. Une de ces grosses chauves-souris brunes, qui se nourrissent de fruits, lui effleura l’oreille ; les piquants d’un porc-épic cliquetèrent sous bois ; et, dans l’obscurité, entre les troncs d’arbres, il entendit un sanglier qui fouillait avec ardeur la chaude terre molle et flairait en fouillant. Puis les branches se refermèrent sur sa tête, et Kala Nag se mit à descendre la pente de la vallée, non plus paisiblement, cette fois, mais comme un canon échappé descend un talus à pic, d’un élan. Les énormes membres se mouvaient avec une régularité de pistons, par enjambées de huit pieds, et l’on entendait des froissements de peau ridée au pli des articulations. Les broussailles éventrées craquaient de chaque côté avec un bruit de toile déchirée ; les jeunes pousses qu’il écartait de droite et de gauche avec ses épaules rebondissaient en arrière et lui cinglaient les flancs ; de grandes traînées de lianes emmêlées et compactes pendaient de ses défenses, tandis qu’il jetait la tête de part et d’autre et se creusait son chemin. Alors, Petit Toomai s’aplatit contre le grand cou, de peur qu’une branche ballante ne le balayât sur le sol, et il souhaita se retrouver encore dans les lignes. L’herbe devenait marécageuse, et les pieds de Kala Nag pompaient et collaient à terre quand ils les posait, et le brouillard de la nuit, au fond de la vallée, glaçait Petit Toomai. Il y eut des éclaboussures et un pataugement, une poussée d’eau rapide, et Kala Nag entra dans le lit d’une rivière, en tâtant sa route à chaque pas. Par-dessus le bruit du courant qui tourbillonnait autour des fortes jambes, Petit Toomai pouvait entendre d’autres éclaboussures et de nouvelles fanfares en amont et en aval, des grognements énormes, des ronflements de colère ; et, dans le tout alentour, comme des vagues, roulaient des brouillards ombres. — Hé ! dit-il à demi-voix, et ses dents claquèrent. Le peuple des éléphants est dehors ce soir. C’est la danse, alors ! Kala Nag sortit de l’eau avec fracas, souffla dans sa trompe pour l’éclaircir, et commença une nouvelle ascension ; mais cette fois, il n’était plus seul, et n’avait plus à se frayer de chemin. C’était déjà chose faite sur six pieds de large, en droite ligne devant lui, toute courbée, l’herbe de la jungle essayait de se redresser et de se tenir. Beaucoup d’éléphants devaient avoir suivi cette voie quelques minutes auparavant. Petit Toomai se retourna, et, derrière lui, un grand sauvage porte-défenses, aux petits yeux de pourceau, brillants comme la braise, émergeait tout juste de la rivière embrumée. Puis, les arbres se refermèrent encore, et ils continuèrent de monter, avec des fanfares et des cris et le bruit des branches brisées tout alentour. À la fin, Kala Nag s’arrêta entre deux troncs d’arbres, au sommet de la montagne ils faisaient partie d’une enceinte poussée autour d’un espace irrégulier de trois ou quatre acres environ, et, sur tout cet espace, Petit Toomai pouvait le voir, le sol avait été foulé jusqu’à devenir aussi dur qu’un carrelage de briques. Quelques arbres s’élevaient au centre de la clairière, mais leur écorce était usée, et le bois même apparaissait au-dessous, brillant et poli, sous les taches de clair de lune. Des lianes pendaient des branches supérieures, dont les fleurs en forme de cloches, grands liserons d’un blanc de cire, tombaient comme alourdis de sommeil jusqu’à terre. Mais, dans les limites de la clairière, il n’y avait pas un brin de verdure rien que la terre foulée ; le clair de lune lui donnait une teinte gris fer, excepté çà et là où se tenaient quelques éléphants dont les ombres étaient noires comme de l’encre. Petit Toomai regardait en retenant sa respiration, les yeux presque hors de la tête ; et, tandis qu’il regardait, des éléphants toujours plus nombreux sortaient d’entre les troncs d’arbres, en se balançant, pour entrer dans l’espace ouvert. Petit Toomai ne savait compter que jusqu’à dix ; il compta et recompta sur ses doigts, jusqu’à ce qu’il perdît son compte de dizaines, et la tête commença de lui tourner. En dehors de la clairière, il pouvait entendre le fracas des éléphants dans la brousse, comme ils se frayaient un chemin vers le sommet de la montagne ; mais, aussitôt arrivés dans le cercle des troncs d’arbres, ils se mouvaient comme des fantômes. Il y avait là des mâles sauvages aux défenses blanches, avec des feuilles mortes, des noix et des branchettes restées dans les plis de leurs cous et de leurs oreilles ; de grasses femelles nonchalantes avec leurs petits éléphants d’un noir rosé, hauts de trois ou quatre pieds à peine, qui ne pouvaient rester en place et couraient sous leurs mamelles ; de jeunes éléphants dont les défenses commençaient juste à pointer, et qui s’en montraient tout fiers ; de flasques et maigres femelles, restées vieilles filles, avec leurs inquiètes faces creuses et des trompes d’écorce rude ; de vieux solitaires sillonnés, de l’épaule au flanc, des cicatrices et des balafres d’autrefois, et les gâteaux de boue de leurs baignades à l’écart pendant encore de leurs épaules ; et il y avait un éléphant avec une défense brisée et les marques du plein assaut, le terrible sillon des griffes d’un tigre à son flanc. Ils se faisaient vis-à-vis, ou se promenaient de long en large, deux à deux, ou restaient à se balancer et à se dandiner tout seuls. Il y en avait des vingtaines et des vingtaines. Toomai savait qu’aussi longtemps qu’il resterait tranquille sur le cou de Kala Nag, aucun mal ne pouvait lui arriver car un éléphant sauvage, même dans l’avalanche du keddah, ne lèverait pas sa trompe pour arracher un homme du cou d’un éléphant apprivoisé ; et ceux-là ne pensaient guère aux hommes cette nuit. Un moment, ils tressaillirent et dressèrent les oreilles en avant on entendait sonner les fers d’un anneau de pied dans la forêt. Mais c’était Pudmini, l’éléphante favorite de Petersen Sahib, sa chaîne cassée court, qui gravissait, grognant et soufflant, le flanc de la montagne ; elle devait avoir brisé ses piquets, et venir droit du camp de Petersen Sahib. Et Petit Toomai vit un autre éléphant, qu’il ne connaissait pas, avec de profondes écorchures faites par les cordes sur le dos et le poitrail. Lui aussi devait s’être échappé d’un camp établi dans les montagnes d’alentour. Enfin on n’entendit plus d’éléphants marcher dans la forêt, et Kala Nag roula pesamment d’entre les arbres et s’avança au milieu de la foule, gloussant et gargouillant ; et tous les éléphants commencèrent à s’exprimer dans leur langage et à se mouvoir çà et là. Toujours couché, Petit Toomai découvrait des vingtaines et des vingtaines de larges dos, des oreilles branlantes, des trompes ballottantes, et de petits yeux roulants. Il entendait le cliquetis des défenses lorsqu’elles s’entrecroisaient par hasard ; le bruissement sec des trompes enlacées ; le frottement des flancs et des épaules énormes, dans la cohue ; l’incessant flic flac et le hissh des grandes queues. Puis, un nuage couvrit la lune, et ce fut la nuit noire ; mais les poussées, les froissements et les gargouillements n’en continuèrent pas moins, paisibles et réguliers. L’enfant savait Kala Nag entouré d’éléphants, et ne voyait aucune chance de le faire sortir de l’assemblée ; il serra les dents et frissonna. Dans un keddah au moins, il y avait la lumière des torches et les cris, mais, ici, il était tout seul dans les ténèbres, et, une fois, une trompe se leva et lui toucha le genou. Ensuite un éléphant trompeta, et tous l’imitèrent pendant cinq ou dix terribles secondes. La rosée pleuvait des arbres, en larges gouttes, sur les dos invisibles. Et un bruit s’éleva, sourd grondement peu prononcé d’abord, et Petit Toomai n’aurait pu dire ce que c’était ; le bruit monta, monta, et Kala Nag levait ses pieds de devant l’un après l’autre, et les reposait sur le sol, — une, deux, une deux ! — avec autant de précision que des marteaux de forge. Les éléphants frappaient du pied maintenant tous ensemble, et cela sonnait comme un tambour de guerre battu à la bouche d’une caverne. La rosée tombait toujours des arbres, jusqu’au moment où il n’en resta plus sur les feuilles ; et le sourd roulement continuait, le sol oscillait et frissonnait, si bien que Petit Toomai mit ses mains sur ses oreilles pour ne plus entendre. Mais c’était toute une vibration, immense, qui le parcourait tout entier, le heurt de ces centaines de pieds si lourds sur la terre à cru. Une fois ou deux, il sentit Kala Nag et tous les autres avancer de quelques pas, et le pilonnement devint alors un bruit de verdures écrasées, dont la sève giclait ; mais, une minute ou deux plus tard, c’était de nouveau le roulement des pieds sur la terre durcie. Un arbre craquait et gémissait quelque part près de lui. Il tendit le bras et sentit l’écorce, mais Kala Nag avança, toujours piétinant, et l’enfant ne savait plus où il était dans la clairière. Les éléphants ne donnaient plus signe de vie. Une fois seulement, deux ou trois petits piaillèrent ensemble ; alors, il entendit un coup sourd et le bruit d’une bagarre, et le pilonnement reprit. Maintenant, il y avait bien deux grandes heures que cela durait, et Petit Toomai souffrait dans chacun de ses nerfs ; mais il sentait, à l’odeur de l’air, dans la nuit, que l’aube allait venir. Le matin parut en une nappe de jaune pâle derrière les collines vertes ; et, avec le premier rayon, le piétinement s’arrêta, comme si la lumière eût été un ordre. Avant que le bruit eût fini de résonner dans la tête de Petit Toomai, avant même qu’il eût changé de position, il n’y avait plus en vue un seul éléphant, sauf Kala Nag, Pudmini et l’éléphant marqué par les cordes ; et aucun signe, aucun murmure ni chuchotement sur les pentes des montagnes, ne laissait deviner où les autres s’en étaient allés. Toomai regarda de tous ses yeux. La clairière, autant qu’il s’en souvenait, s’était élargie pendant la nuit. Il y avait un grand nombre d’arbres debout dans le milieu, mais l’enceinte de broussaille et d’herbe de jungle avait été reculée. Petit Toomai regarda une fois encore ; maintenant il comprenait le pilonnement. Les éléphants avaient élargi l’espace foulé, réduit en litière, à force de piétiner, l’herbe épaisse et les cannes juteuses, la litière en brindilles, les brindilles en fibres menues, et les fibres en terre durcie. — Ouf ! dit Petit Toomai, — et ses paupières lui semblaient très lourdes ; — Kala Nag, monseigneur, ne quittons pas Pudmini, et retournons au camp de Petersen Sahib, ou bien je vais tomber de ton cou. Le troisième éléphant regarda partir les deux autres, renâcla, fit volte-face, et reprit la route par laquelle il était venu. Il devait appartenir à quelque établissement de petit prince indigène, à cinquante, soixante ou cent milles de là. Deux heures plus tard, comme Petersen Sahib prenait son premier déjeuner, ses éléphants, dont les chaînes avaient été doublées cette nuit-là, commencèrent à trompeter, et Pudmini, crottée jusqu’aux épaules, avec Kala Nag clopinant sur ses pieds endoloris, firent leur entrée dans le camp. Le visage de Petit Toomai était blême et tiré, sa chevelure pleine de feuilles et trempée de rosée, mais l’enfant fit le geste de saluer Petersen Sahib, et cria d’une voix défaillante — La danse…, la danse des éléphants ! Je l’ai vue… et je meurs ! Et comme Kala Nag se couchait, il glissa de son dos, évanoui. Mais les enfants indigènes n’ont pas de nerfs dont il vaille la peine de parler au bout de deux heures, il se réveillait, confortablement allongé dans le hamac de Petersen Sahib, avec la veste de chasse de Petersen Sahib sous la tête, un verre de lait chaud additionné d’un peu d’eau-de-vie et d’une pointe de quinine dans le ventre ; et, tandis que les vieux chasseurs des jungles, velus et balafrés, assis sur trois rangs de profondeur devant lui, le regardaient comme s’il était un revenant, il raconta son histoire en mots naïfs, à la manière des enfants, et conclut — Maintenant, si je mens d’un seul mot, envoyez des hommes pour voir ; et ils trouveront que les éléphants, en piétinant, ont agrandi leur salle de bal, et ils trouveront des dizaines et des dizaines et beaucoup de fois de dizaines de traces conduisant à cette salle de bal. Ils l’ont agrandie avec leurs pieds. Je l’ai vu. Kala Nag m’a pris avec lui, et j’ai vu. Même, Kala Nag a les jambes très fatiguées. Petit Toomai se renversa en arrière et dormit tout l’après-midi, et dormait encore au crépuscule ; et, pendant qu’il dormait, Petersen Sahib et Machua Appa suivirent la trace des deux éléphants, sur un parcours de quinze milles à travers les montagnes. Petersen Sahib avait passé dix-huit ans de sa vie à prendre des éléphants, et il n’avait qu’une seule fois jusque-là découvert une semblable salle de bal. Machua Appa n’eut pas besoin de regarder deux fois la clairière pour voir ce qui s’était passé, ni de gratter de l’orteil la terre compacte et battue. — L’enfant dit vrai, prononça-t-il. Tout cela s’est fait la nuit dernière, et j’ai compté soixante-dix pistes qui traversent la rivière. Voyez, Sahib, où l’anneau de fer de Pudmini a entamé l’écorce de cet arbre ! Oui, elle était là aussi. Ils s’entre-regardèrent, puis leurs yeux errèrent de haut en bas ; et ils s’émerveillèrent car les coutumes des éléphants dépassent la portée d’esprit d’aucun homme noir ou blanc. — Quarante-cinq années, — dit Machua Appa, — j’ai suivi monseigneur l’Éléphant, mais jamais je n’ai entendu dire qu’un enfant d’homme ait vu ce que cet enfant a vu. Par tous les dieux des montagnes, c’est… que peut-on dire ?… Et il secoua la tête. Lorsqu’ils revinrent au camp, c’était l’heure du souper. Petersen Sahib mangeait seul dans sa tente, mais il donna des ordres pour qu’on distribuât deux moutons et quelques volailles, avec une double ration de farine, de riz et de sel, car il savait qu’il y aurait fête. Grand Toomai, en toute hâte, était monté de la plaine pour se mettre en quête de son fils et de son éléphant, et, maintenant qu’il les avait trouvés, il les regardait comme s’il avait eu peur de tous deux. Et il y eut fête, en effet, autour des grands feux de camp qui flambaient sur le front des lignes d’éléphants au piquet, et Petit Toomai en fut le héros. Les grands chasseurs d’éléphants, à la peau bronzée, traqueurs, conducteurs et lanceurs de cordes, et ceux qui savent tous les secrets pour dompter les éléphants les plus sauvages, se le passèrent l’un à l’autre, et lui firent une marque sur le front avec le sang du cœur même d’un coq de jungle fraîchement tué, pour montrer qu’il était un forestier, initié, à présent, et libre dans toute l’étendue des jungles. Et, à la fin, quand les flammes tombèrent et moururent, et qu’aux reflets rouges de la braise les éléphants apparurent comme s’ils avaient été trempés aussi dans le sang, Machua Appa, le chef de tous les rabatteurs de tous les keddahs, Machua Appa, l’Alter ego de Petersen Sahib, qui n’avait jamais vu une route tracée en quarante ans, Machua Appa, si grand, si grand, qu’on ne l’appelait jamais autrement que Machua Appa, sauta sur ses pieds en élevant Petit Toomai à bout de bras au-dessus de sa tête, et cria — Écoutez, frères ! Écoutez aussi, vous, messeigneurs, là, dans les lignes, car c’est moi, Machua Appa, qui parle ! Ce petit ne s’appellera plus Petit Toomai, mais Toomai des Éléphants, comme son arrière-grand-père fut appelé avant lui. Ce que jamais homme n’a vu, il l’a vu durant la longue nuit, et la faveur du peuple éléphant et des dieux des jungles est avec lui. Il deviendra un grand traqueur, il deviendra plus grand que moi, oui moi, Machua Appa ! Il suivra la piste fraîche, la piste éventée et la piste mêlée, d’un œil clair ! Il ne lui arrivera pas de mal dans le keddah lorsqu’il courra sous le ventre des solitaires afin de les garrotter, et s’il glisse sous les pieds d’un mâle en train de charger, le mâle le reconnaîtra et ne l’écrasera pas. Aihai ! messeigneurs, ici près dans les chaînes, — cria-t-il en courant sur le front de la ligne de piquets, — voici le petit qui a vu vos danses au fond de vos retraites cachées, le spectacle que jamais homme ne vit ! Rendez-lui hommage, messeigneurs, Salaam Karo, mes enfants. Faites votre salut à Toomai des Éléphants ! Gunya Pershad, ahaa ! Hira Guj, Birchi Guj, ahaa !… Et toi, Pudmini, tu l’as vu à la danse ; et toi aussi, Kala Nag, ô ma perle des Éléphants !… Ahaa ! Ensemble ! À Toomai des Éléphants ! Barrao ! Et au signal de cette clameur sauvage, la ligne entière des éléphants leva ses trompes jusqu’à ce que le bout de chacun touchât le front, et ils entonnèrent le plein salut, l’éclatante salve de trompettes, que seul entend le vice-roi des Indes, le Salaamut du Keddah. Mais, cette fois en l’unique honneur de Petit Toomai, qui avait vu ce que jamais homme ne vit auparavant, la danse des éléphants, la nuit, tout seul, au cœur des montagnes de Garo ! A la rentrée de la saison 1988-89, Serge est au plus mal, la descente aux enfers se poursuit, inexorable. A une exception près, un Mon zénith à moi de Michel Denisot sur Canal+, ses télés sont désastreuses quand il vient présenter le clip de Mon légionnaire» à Nulle part ailleurs, l’émission de Philippe Gildas, également sur Canal+, nombreux sont les fans qui trouvent son Guignol plus drôle que l’original, il faut dire que la marionnette est rigolote, comme la voix de l’imitateur Yves Lecoq. Serge l’adore. On raconte qu il ne ratait aucun épisode des Arènes de lInfo, tous les soirs à 20 heures dans Nulle part ailleurs », et qu’il était déçu s’il ne voyait pas son double en latex… Quant au clip mentionné plus haut, il est signe Luc Besson et met en scène Gainsbourg coiffe d’un galurin et flanqué d’un gamin photogénique. Derrière s’agitent des danseurs hystériques sortis, dirait-on, d’un épisode de Fame. Pour le distraire de son spleen, il peut heureusement compter sur ses amis Jacques Wolfsohn ou Jacques Dutronc, ou même sur le fiston de ce dernier, quinze ans, bientôt seize, que Serge aimait tant, d’après Bambou, parce qu’il retrouvait en lui toute la pureté que Jacques avait perdue. Bref épisode, il signe en septembre 1988 les lyrics de la face A du nouveau 45 tours de la belle Viktor Lazlo, un exercice en X comme il les affectionne de plus en plus il y en avait deux sur Youre Under Arrest. L’interprète de Canoé rose» n’en vendra pas un max. Autre catastrophe prévisible, l’album de Bambou qu’il met en boîte deux mois plus tard. Musicalement, Made In China » tient la route, vu qu’on retrouve Billy Rush, Gary Georgett et le choriste Curtis King Jr. qui se taille au demeurant la part du lion. C’est du côté des paroles que ça pèche; n’émergent de ce CD anecdotique, publié en mars 1989, que la reprise de Nuits de Chine » et, inspiré sans doute du vieux tube de Julie London Cry Me A River» Pleurer des rivières» en français par Viktor Lazlo, incidemment, le plutôt joli J’ai pleuré le Yang-Tsé » Jarrive au studio, j ai les textes le jour même, je n ai jamais chante de ma vie, je suis persuadée que je chante faux, bref je n’ai pas enregistré dans les meilleures conditions… Au début je n’y arrivais pas et Serge commençait à s’énerver, je me suis mise à pleurer, je lui ai dit que je devrais peut-être prendre des cours de chant et il m a insultée! Lerichomme lui a dit de sortir pour que les esprits se calment et pour que je puisse répéter toute seule. On a commence par Shanghai et je n’étais jamais sur le temps, j avais toujours trois secondes de retard, c’était de pire en pire, je faisais n’importe quoi. Quand j étais en larmes, Serge me disait d’arrêter de chialer pour recommencer tout de suite, parce que ma voix se cassait et qu’il y avait de l’émotion. » Son alcoolisme a pris des proportions épiques. De 1979 à mai 1989, ce n’est qu’une chute longue de dix ans dans l’enfer éthylique. Il lui arrivait d’être tellement bourré qu’il tombait dans le coma, le delirium tremens le précipitait dans un univers cauchemardesque. Les sympathiques éléphants roses du folklore populaire étaient chez lui remplaces par d’horrifiantes visions. Il racontait comment une nuit il s’était cru attaqué par des poignards qu’il tentait d’éviter par des gestes convulsifs. Serge était-il vraiment suicidaire ? Se croyait-il immortel ? L’alcool était assurément devenu une prison dont il ne sortait plus. Il est vrai qu’en France, paradis des poivrots, on traite rarement l’éthylisme pour ce qu il est réellement une maladie physique et mentale. Bien sûr, quand on s’appelle Gainsbourg, il n’est pas évident de s’inscrire aux Alcooliques anonymes. C’est pourquoi ses proches lui suggéraient parfois de suivre un traitement à l’étranger. Mais le plus dur n’est pas la désintoxication, c’est après dans son métier, il y avait trop de tentations. Sa solitude rendait aussi toute tentative inutile, d’autant qu’il était tenaillé par l’angoisse et les affres de la création il répétait souvent, pour se justifier, qu’il avait fait ses meilleurs albums ivre. Privé d’alcool, se disait-il, que va-t-il se passer, je ne vais jamais y arriver !» Parfois, il allait à l’hosto, de son plein gré, pour faire un break au bout de deux jours, on sentait dans ses yeux comme un soulagement. En fait, il avait envie de s’en sortir, il avait compris que seul, il n’y arriverait pas. C est pourquoi il avait commence une psychanalyse, lui qui avait toujours refusé l’idée que quelqu’un puisse scruter son mental, il avait également consulté des spécialistes de l’alcoolisme…, trois semaines avant sa mort. Gainsbourg Connaissez-vous le “cocktail désespoir” de Cocteau ? Je ne l’ai jamais essayé, faut pas déconner, mais voici ce que ça donne, je cite “Remplir à moitié le shaker de glace et d’eau de Cologne, mettre deux gouttes d’alcool de menthe de Ricqlès, un doigt de shampooing, secouer, servir mousseux avec des pailles dans un verre à dents.” C’est superbe, non ? » En janvier 1989 on l’hospitalise cinq fois d’affilée. Les médecins lui annoncent que s’il continue de picoler, c’est la cécité qui l’attend. Finalement, en avril, ils décident d’opérer. Juste avant de passer sur le billard, comme il sait qu’il risque sa vie, Serge enregistre coup sur coup une série de sketches avec son Guignol, écrits par Arnold Boiseau, pour annoncer la sortie de son album live au Zénith ceux-ci sont diffusés durant son hospitalisation. Il s’invite au journal de 13 heures d’Antenne 2, puis il tourne pendant sept heures d affilée l’émission Lunettes noires pour nuits blanches » présentée par Thierry Ardisson, également pour la 2 chaîne. On y assiste à un joli dialogue entre Serge et Bambou, à qui il affirme sans ambages Mais oui, Samantha c’est toi… » Spécial Serge Gainsbourg par ina Serge Ça fait quoi d’être avec un mec qui a 32 années de plus que toi ? Bambou Ça permet des rapports privilégiés et inviolables. Serge Tu me perdras un jour, c’est cruel, mais mathématique. J’crois qu’tu seras la dernière de ma vie, ma p’tite cocotte-minute. Bambou Tu ferais quoi, si jte quittais ? Serge Tu serais pas la première. Je vais te foutre les menottes et t’attacher au radiateur, Bambou Ça t’a fait mal quand Jane s’est tirée ? Serge No comment, on ne touche pas à ce qui est intouchable. Bambou Tu m’aimes? Serge Moi non plus. Bambou Beuh! C’est facile! Dans la même émission, diffusée le 8 avril 1989, il se livre à un exercice intéressant en mettant en scène une auto-interview. Gainsbarre Dis donc Gainsbourg, question insidieuse… A Strasbourg, devant les paras, tu t’es vu mourir comme John Lennon? Dis-moi si t’as des couilles. Gainsbourg C’était pas de l’intrépidité, c’était du courage. Parce que l’intrépidité, c’est de la connerie. C’est Allez on charge, la castagne!»… Le courage c’est de vaincre sa peur. Gainsbarre Tu as dit quelque chose de pas très con, de pas trop con L’homme a créé les dieux, l’inverse reste à prouver.» T’es toujours athée, mon p’tit gars? Gainsbourg Non, je vire au polythéisme. C’est-a-dire que je mets toujours les dieux au pluriel, de peur qu’il y en ait un qui le prenne mal. Gainsbarre Dis donc Gainsbourg, tu crois pas qu’il serait temps pour toi de rejoindre Rimbaud en Abyssinie ? Gainsbourg Ouais, pour moi c’est le plus grand, avec Picabia . Parce que celui qui n’a pas lu Jésus-Christ Rastaquouère , c’est vraiment le dernier des cons. il y en a beaucoup, il n’a tiré qu’à quatre mille exemplaires. Il y a beaucoup de cons, on est cernés par les cons. D’ailleurs toi le premier, Gainsbarre ! Et je t’emmerde! L’opération a lieu le 11 avril 1989 Serge passe un peu plus de six heures sur le billard. Miracle et nouveau sursis, il s’en sort. Quand il fait son come-back le 10 mai sur Canal+ à nouveau dans Nulle part ailleurs, après avoir visionné le nouveau clip de sa compagne Bambou au cinéma La Pagode », on le retrouve dans une forme épatante. Dire qu’il a la pêche relève de l’euphémisme bouleversant, souriant, ricanant, l’élocution parfaite, l’esprit vif, l’œil pétillant, il raconte comment ça s’est passé à l’hôpital Beaujon, à Clichy, où l’on a pratiqué l’ablation de deux tiers de son foie. S’agissait-il d’une tumeur ? Gainsbourg La vérité sur mon opération, la voilà le premier qui me parle de cirrhose ou de cancer, je lui casse la gueule, parce que la cirrhose, ça ne s’opère pas. On m’a trouvé une saloperie que j ai attrapée en Afrique pendant le tournage d’Équateur. Voilà l’affaire. Il paraît que dans le bloc chirurgical jétais le mec le plus courageux… C’est pas drôle, les enfants, j ai souffert dans ma chair, mais je suis stoïque. Quand je me suis réveillé après l’opération javais des tubes partout, dans le nez, dans le fion, dans les reins, dans la queue, mais en voyant tous ces fils, émergeant de l’anesthésie, j’ai eu un réflexe insensé jai demandé “On est sur scène ? Soundcheck ! C’est bon? Ou sont mes musicos? Je me croyais au Zénith¹ ! » Christian Gérin, dans France-Soir, le 15 avril 1989, avait pourtant publié tous les détails, auxquels Gainsbourg refusait de croire, quitte à s’enfoncer dans des mensonges abracadabrants hospitalisé dans le service de chirurgie digestive du professeur Fékété, Serge est soigné parallèlement pour des problèmes de diabète, de cécité et d’insuffisance respiratoire. Pour mémoire, il fume chaque jour jusqu’à 80 Gitanes, les cigarettes les plus toxiques sur le marché en goudron et nicotine, sa consommation d’alcool lui a valu, précise le journaliste » Une cirrhose du foie qui a elle-même favorisé l’apparition d’un cancer hépatique. L’ablation partielle du foie vise à éliminer la tumeur. On sait également que Serge Gainsbourg redoute de devenir aveugle. La rétinopathie diabétique fait également suite à une mauvaise gestion par le foie malade des sucres présents dans le sang. Enfin, après l’opération, les médecins craignent des complications pulmonaires […] conséquences d’une insuffisance respiratoire, elle-même causée par l’encrassement tabagique des bronches et des alvéoles pulmonaires . Pourtant, Serge quitte l’hôpital, avec sa mallette contenant ses flacons de parfum Van Cleef & Arpels et un Walkman dernier cri, après onze jours seulement, alors que sa chambre avait été réservée sous un faux nom pour trois semaines. Gainsbourg Pour ma convalescence je me suis loué une suite à l’hôtel Raphaël, avec interdiction aux barmen et à tous les étages de me servir des boissons alcoolisées. C’était donc un verre d’eau que je buvais au bar quand j’ai eu un coup de fil extraordinaire “Allô, c’est Marlène Dietrich.” Je me dis Ça y est, une cinglée. Mais pas du tout, c’était bien elle “Mister Gainsbourg, I cross my fingers je croise les doigts pour votre santé, faites attention à vous…” Comme elle est un peu dure d’oreille, il fallait parler très fort et comme j’étais entouré de Japs et de Ricains, jai dû gueuler “Can you please shut up, that’s Marlene on the phone.” Ils m’ont sans doute pris pour un barjot. » 1. Interview par Philippe Gildas, le 10 mai 1989 pour l’émission Nulle part ailleurs. Et Le dernier film de Serge Stan the Flasher province de Nakhon Ratchasima Il est 19 h 30 en cette soirée humide d’avril et la danse en ligne commence. Sur scène, des femmes habillées en cow-girls se balancent au rythme de la musique, chantonnant les paroles à mesure qu’elles avancent et reculent à l’unisson. Au moment où elles retournent s’asseoir, j’entends des chevaux hennir au loin. Un groupe de cavaliers en chapeau et veste de daim passent au galop sur leurs montures noires et blanches. J’observe la scène, fasciné, au milieu de clients portant des cravates lacets. C’est ma première soirée au Pensuk Great Western Resort, un complexe de vacances d’une quinzaine d’hectares situé au cœur de l’Asie du Sud-Est. Les “cow-girls” sont de gracieuses Thaïlandaises et les “cow-boys”, de frêles et agiles Thaïlandais. S’approchant de la scène, les hommes jouent leur version d’une bataille rangée de western, feignant de cogner comme des ivrognes sur leurs copains avant de se gratifier mutuellement d’un wai, courbette respectueuse effectuée les mains jointes. Au lieu de s’achever par une fusillade, la rixe se finit à la manière consensuelle thaïe tout le monde danse sur la scène, cow-girls et cow-boys, femmes de la haute société thaïe et touristes étrangers. “Construire ici notre complexe de loisirs nous a paru évident”, m’expliquent le lendemain les directeurs du Pensuk, alors que j’essaie de comprendre comment le Texas s’est retrouvé en pleine campagne thaïlandaise. “Car c’est ici qu’il y a des cow-boys.” Les habitants du nord-est de la Thaïlande, grande région d’élevage bovin du royaume, sont depuis longtemps fans de l’Ouest sauvage. Lors de la guerre du Vietnam, les GI cantonnés en Thaïlande où les Etats-Unis avaient installé d’immenses bases aériennes [elles ont compté jusqu’à 50 000 hommes en 1969] ont apporté dans la région leurs photos de Clint Eastwood, leurs albums d’Ennio Morricone et leur goût pour les steaks et les hamburgers. La culture cow-boy a ainsi pris racine. Pour les habitants de la région, les champs de maïs brûlés par le soleil du Nord-Est rappellent les plaines et les mesas qui forment le décor typique des westerns, et leur musique traditionnelle – cordes grinçantes et complaintes mélancoliques – ne détonnerait pas dans un bar de Tucson [Arizona]. Les habitants du Nord-Est se reconnaissent aisément dans l’esprit indépendant des cow-boys – la région a tenté de faire sécession et était, il y a quelques décennies encore, un foyer d’insurrection. Aussi, depuis une dizaine d’années, des entrepreneurs thaïs enrichis par le développement économique du pays ont ouvert un peu partout dans la région des ranches-hôtels et autres reconstitutions de western. Yuttana Pensuk, un homme d’affaires prospère, a ouvert son ranch en 1995 par amour de l’Ouest américain, avant de le transformer en entreprise commerciale. Il accueille désormais chaque année des centaines de clients, dont beaucoup d’étrangers. J’avais déjà entendu parler de Pensuk à l’époque où je vivais à Bangkok. Profitant d’une récente visite dans la capitale, j’ai décidé d’aller voir ce qu’il en était. Une fois sortis de la ville, nous laissons rapidement, mon amie et moi, les centres commerciaux derrière nous, pour rouler à travers un paysage désert de garrigue ponctuée de plateaux et de falaises calcaires en dents de scie. Au loin, parfois, quelques rizières en terrasses pareilles à d’énormes gâteaux de mariage. A deux heures de route de Bangkok, bars de style western, restaurants de grillades et étals de fruits frais et de maïs doux se succèdent le long de la route. Nous nous engageons dans une route secondaire bordée de petits élevages de bovins et de vaches laitières. Des cow-boys au visage buriné, les yeux perpétuellement plissés et mâchant du bétel au lieu de tabac conduisent leurs troupeaux à travers routes et pâturages. De temps à autre, le spectacle incongru d’une pagode bouddhiste surgit à l’horizon, ses toits pointus couverts de morceaux de verre coloré scintillant tels des joyaux sous le soleil de la mi-journée. Il s’agit là pratiquement du seul signe visible nous rappelant que nous nous trouvons en Extrême-Orient et non dans l’Ouest sauvage. Les touristes thaïlandais aiment à suivre ces routes, allant d’une exploitation agricole à l’autre pour y goûter yaourts et lait frais, faire une promenade à cheval ou passer la nuit dans une chambre d’hôtes. La région est renommée pour son hospitalité. Partout où nous faisons halte, il est aisé d’engager la conversation. Sur le conseil d’amis, nous nous rendons à la ferme Yana, qui vend du lait de chèvre mais aussi un large éventail de produits dérivés du fromage, de la crème glacée et même du shampooing ainsi que des fruits bio – papayes et melons charnus coupés en gros morceaux, si sucrés qu’ils vous laissent un goût de bonbon. Une curieuse version country-thaïe de John Lennon Puis nous quittons de nouveau la route principale et prenons un chemin bordé de boutiques et de bars de style western. Au Texas Saloon, nous nous installons dans une réplique de chariot couvert et écoutons la conversation de trois Américains attablés à côté de nous, en attendant notre repas – une soupe épicée tom yam et des hamburgers relevés de fines herbes locales. Puis nous nous risquons, à deux pas de là, chez Buffalo Bill’s – le plus gros distributeur de produits western en Thaïlande. De fait, on y trouve paniers-repas style cow-boy des années 1950, têtes de bison à longs poils et derniers numéros de Western Horseman [magazine équestre américain publié depuis 1936]. “J’adore le mode de vie décontracté de l’Ouest américain”, nous confie l’une des propriétaires, une femme prénommée Ing. “C’est la liberté, et le Nord-Est [thaïlandais] est pareil.” Ing, qui dirige le magasin avec son mari, ne vit que pour se rendre chaque année à Denver, dans le Colorado, à un rassemblement cow-boy. Nous débarquons au Pensuk en fin d’après-midi. La grande rue, bordée de saloons des deux côtés, semble tout droit sortie d’un plateau de tournage pour westerns-spaghettis. Dans notre chambre, nichée derrière une fausse façade de boutique – les chambres de l’hôtel sont aménagées en répliques de saloons, de tipis et même de cellules de prison –, toutes les surfaces ou presque sont couvertes de reproductions murales kaléidoscopiques de mesas aux couleurs psychédéliques et aux formes étranges. On dirait un mélange de Robert Crumb et de Georgia O’Keeffe [deux artistes américains, le premier connu pour ses bandes dessinées critiques, voire subversives, la seconde pour ses paysages synthétisant abstraction et figuration]. Même la salle de bains est dotée d’une touche western déconcertante sur le siège des WC, le dessin d’une tête de cheval ne me quitte pas des yeux. Je passe une heure ou deux à flâner, traversant des vallons herbeux et des terrains arides parsemés de cocotiers, de fougères tropi­c­ales géantes et de buissons isolés. Des chevaux se blottissent à l’ombre des cocotiers, cherchant à échapper à la chaleur accablante. Des enfants courent autour d’un tipi en poussant des cris, tandis que leurs parents examinent l’intérieur et prennent des photos. Des clients s’essaient au tir à l’arc, des cuisiniers font cuire à la broche un cochon entier. Des musiciens en chapeau de cow-boy et en jupe de flanelle jouent une curieuse version country-thaïe d’Imagine. Un paon solitaire se pavane dans un coin, exhibant sa roue, tandis que, dans un champ, un employé mène à un trot modeste un cheval portant sur son dos un garçonnet coiffé d’un 10 gallon hat haut chapeau. Le Pensuk loue en effet aux visiteurs des couvre-chefs de style western. Tôt le lendemain, la lumière rose du soleil me réveille. Alors que les autres clients dorment encore, je marche jusqu’à la limite de la propriété. Dans les champs voisins, je découvre des sanctuaires décrépits au pied desquels s’amoncellent des offrandes de fruits. J’avais presque oublié que j’étais dans une région profondément bouddhiste. L’image de temples récemment visités me revient. Dans certaines parties de l’Asie du Sud-Est, certains monuments bouddhistes ont été restaurés à la Disney. Mais pas dans le nord-est de la Thaïlande. Comme les paysages rudes et les traits creusés des cow-boys, les ruines sont patinées par le temps. Leurs pierres grossièrement taillées et blanchies au soleil sont polies par les moussons et les pas des moines des siècles passés. Une fois mon amie levée, nous nous attablons pour un petit-déjeuner à la mode du Pensuk – une orgie de viande –, puis nous nous dirigeons vers Chokchai, situé non loin de là. S’étendant sur plus de 3 000 hectares de prairies naturelles et de champs de tournesols, Chokchai est le plus grand élevage laitier d’Asie du Sud-Est. Nous optons pour une visite complète des lieux, qui commence avec un vieux film en noir et blanc du début des années 1960 décrivant le rassemblement des troupeaux. Une guide en jeans et chemise à carreaux nous conduit ensuite de la station de traite jusqu’à un enclos, où elle se lance dans la description détaillée d’une insémination artificielle. Nous finissons par la visite des étables, où des ouvriers agricoles déploient leurs talents pour la capture de veaux au lasso, le marquage au fer et l’équitation. “On peut observer le mode de vie cow-boy partout en Thaïlande”, m’assure Choak Bulakul, qui dirige la société Chokchai. “Nous le rendons accessible à tous.” De fait, une semaine plus tard, de retour à Bangkok, je remarque partout des signes de ce “mode de vie cow-boy”. De jeunes loups armés de leur téléphone portable engloutissent des portions de viande gargantuesques dans des grils Chokchai. Les cinémas projettent un western gay version thaïe parodiant Brokeback Mountain. Ici et là, au pied de tours, des bars western accueillent des crooners chantant une ode à la gloire de leurs bien-aimées – et de leurs buffles d’eau. Un soir, j’entre au Tawan Daeng, un bar cow-boy dans la banlieue nord de la capitale. De jeunes gens en pantalon tape-à-l’œil et en robe moulante sont installés à de longues tables enserrant la piste de danse et descendent de colossales quantités de whisky bon marché. Les murs sont tapissés de portraits des plus grands chanteurs de country, dont certains, à l’image de leurs homologues américains, sont morts tragiquement jeunes. Un groupe de dix musiciens entre en scène, hurlant du mor lam, de la country électrique thaïe aux changements de tonalité surprenants. Flanqué de danseuses en tenue de pom-pom girls américaines, le chanteur se penche et entonne une interminable ballade sur l’élue de son cœur qui, dans la plus pure tradition country-western, l’a quitté pour un autre. Les couples envahissent la piste, mêlant quadrilles américains et danses lentes traditionnelles thaïes. La chanson se conclut par un solo d’harmonica plaintif. Pendant que le chanteur s’empare à nouveau du micro, les serveurs remplissent une fois de plus les verres de whisky.